LE VIDE COMME TOUT
- Clara Fuchs
- 1 juil. 2019
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 juin 2024
LES INTROSPECTIONS D’HAMMERSHØI
01 JUILLET 2019 | CLARA FUCHS
17h. La toute dernière heure pour rencontrer l’œuvre du danois Vilhelm Hammershøi. Le musée est presque vide – douce mise en abîme pour ce peintre dont le sujet de prédilection est le vide lui-même.
Ce qui me frappe d’abord, c’est le calme plat qui habite les toiles. Pas ou peu de figures humaines ; s’il y en a, elles apparaissent comme absorbées par une tâche ou par le cours d’une pensée. Pas de regard frontal donc, le peintre semble n’être que le rapporteur d’une scène à laquelle il n’appartient pas.
L’exposition ressemble à une collection d’extraits de vie, celle d’un homme taciturne qui trouve dans son chez-soi un refuge au monde bruyant. Un quotidien de solitude soigneusement capté dans l’espace d’une toile.
Au fil des tableaux apparaît un regard de photographe – non, un regard d’architecte ! – sur l’espace domestique, le terrain de jeu d’une vie (d’)intérieure. Un univers introverti, rempli de pièces à peine meublées qu’une fenêtre éclaire. Les ponts avec la peinture de l'américain Edward Hopper sont multiples dans cette architecture de fenêtre qui filtre une lumière incidente, projetant au sol la trame des vitrages à petits bois.
Mais chez Hammershøi, elles restent systématiquement fermées. Elles ne laissent rien apparaître du dehors, si ce n’est l’existence d’un dehors en soit. Il me semble presque que l’extérieur n’est ici qu’un moyen de mieux définir la qualité de ce qui appartient à l’intérieur représenté.
L’intérieur comme fuite.
La fenêtre comme filtre.
L’espace comme medium.
La lumière comme matière.
L’œuvre d'Hammershøi est fascinante par ses huis clos, tout en camaïeux de blancs, de gris et de bruns, dont se détache de temps à autre le noir profond des vêtements de proches – sa mère, sa sœur, son frère, sa femme, quelques amis. Une silhouette souvent seule, totalement silencieuse, immobile, entièrement intégrée à la neutralité des espaces qui l’entourent. Et lorsqu’elles sont plusieurs, les figures demeurent enfermées dans leur monde intérieur : le tableau met alors en scène une somme d’individualités sans interaction, les unes évoluant à côté des autres, présentes sans pour autant être ensemble.
Pourtant, il n'y a pas de trace d'une quelconque détresse - le vide apparaît comme synonyme d'ordre, de repos, de justesse.
Solitude : douce absence de regards. [1]
On le dit peintre de l’intérieur, je le crois peintre de l’intériorité. Plus que des lieux, ce sont des sentiments que toutes ces toiles me semblent exprimer. Une solitude qui naît de ce doux mélange de lumière et de moments plus sombres, un exil intérieur peuplé de quelques ancrages humains. Une plongée dans l'intimité. Une désolidarisation d’avec le monde.
Exposition « Hammershøi. Le maître de la peinture danoise. »
Musée Jacquemart André, Paris | 14 mars - 22 juillet 2019