LE SOUFFLE DE LA MONTAGNE
- Clara Fuchs
- 15 août 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 juin 2024
RENCONTRE AVEC FABIENNE VERDIER
15 AOÛT 2019 | CLARA FUCHS
Pour sa première rétrospective en France, la peintre Fabienne Verdier, invitée par le musée Granet d’Aix-en-Provence, présente son interprétation des terres de Cézanne. Depuis ses premières calligraphies jusqu’à ses dernières recherches peintes sur le motif dans les montagnes de Provence, retour sur une œuvre immensément poétique.
Ce qui me frappe devant ces toiles, c’est peut-être la vivacité des lignes que l’on ressent comme là, trépidantes de vie devant soit. Plus tard, ce sont les compositions si particulières, hors cadre, comme isolées d’un ensemble plus grand.
Ces peintures gigantesques semblent être extraites d’un flux d’énergie qui, à l’instant où l’on pose les yeux sur la peinture, continue d’animer le monde. Quelque chose qui aurait une existence bien au-delà de ce que l’on voit sur les murs, bien au-delà de ce qui est inscrit ; quelque chose qui existe, et dont la toile n’est qu’une représentation.
Ce qui m'intéressait, c'était le vivant, le trait qui saisit la vie. [1]
MARGARETA
Sur le portrait médiéval du flamand Jan Van Eyck, l’austère visage de Margareta dans une écume de fine dentelle blanche au tracé sinueux.
Sur la composition de Fabienne Verdier, deux volutes blanches se tortillent, vivantes, sur un fond écarlate. Un rouge aussi profond que celui de l’épaisse robe de Margareta. Irrégulières comme la tranche d'une étoffe froissée, elles semblent pourtant issues d’un même mouvement, dont l’origine se trouverait hors du cadre des toiles. Sublime hommage au maitre flamand.
Les salles se succèdent, et je m’enfonce dans la profondeur de chaque peinture, sur lesquelles se projette les traces de mouvements pris sur le vif. Une empreinte poétique d’un flux de pensée. Un geste dans toute son éphémérité, fixé sur un tissu tendu, une feuille de papier ou une lame de bois. Une traduction sensuelle de l’essence de la vie.
VIDE VIBRATION
Le vide, l’espace ; l’obsession de l’architecte. Et dans le vide, rien ? Sur le bleu nuit du triptyque jaillissent des soubresauts blancs ; vives particules que je vois rebondir dans un joyeux désordre. Un fragment d’espace qui se déploie sur quelques mètres carrés, dans ce qu’il est ; la salle semble bourdonner sous cette agitation qui remplit les interstices, et lie les individualités par de vivantes tensions.
NUIT D’OPÉRA
Au contact de la musique – en 2014 à la Juilliard School de New York, puis en 2017, auprès des cordes du festival d’Aix-en-Provence – les toiles se teintent des variations de rythme des morceaux classiques ; la complicité des tempos et des lignes picturales remplit la salle. La marque en relief du son, d’un noir d’encre, le fait résonner partout ; si les notes ne sont pas présentes, le son tonne par ses deltas d’intensités, ses oscillations, ses ralentissements.
LE SOUFFLE DE LA MONTAGNE
Sur des nuances de la Provence – ocres, bruns – se trace d’un unique trait de pinceau une silhouette bien connue des sudistes. La crête de la montagne Sainte-Victoire, la même qui obsédait Paul Cézanne il y a 150 ans ; sa roche nue, abrupte, à l’épreuve de la brulante lumière du Midi. La ligne noire transcrivant toutes les tensions qui font émerger de terre ces reliefs, la rugosité du trait capturant ce sol malmené qui se plie comme une feuille de papier. Le tableau me renvoie à ce manifestations du monde, dont l’immensité impose le silence.
Véritable ode à la contemplation.
Exposition « Fabienne Verdier sur les terres de Cézanne. Exposition rétrospective. »
Musée Granet d'Aix-en-Provence | 21 juin - 13 octobre 2019