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DONNER CORPS

  • Clara Fuchs
  • 15 nov. 2019
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 juin 2024

SOUS LE CRAYON D'ALVAR AALTO

15 NOVEMBRE 2019 | CLARA FUCHS



La Finlande, une terre gelée qui s’agrippe à la liberté et au vide ; une terre d’immensités, rude, extrême même, qui a creusé dans le cœur de ses habitants des puissantes racines paysannes et forestières. Les villages de la côte transpirent un sens certain de la vie modeste, de l’effort comme nécessité pour exister dans un milieu où la vie n’a que peu de place. Pourtant, sous le crayon d’Alvar Aalto, cette terre austère devient poésie, l’inhospitalier un foyer. « [Mettre] l’espace et le monde matériel en harmonie avec la vie humaine ». Donner à l’homme une place à la fois centrale et modeste, confortable et simple. Il n’est alors plus question de satisfaire l’animal moderne - habiter, travailler, se divertir - mais d’avantage de penser à son existence sensible et intellectuelle. L’architecture n’est plus seulement l’écrin de la vie des hommes, elle l’invente, elle l’écrit. Aalto laisse derrière lui de nombreux poèmes à travers le pays, tous racontés jusqu’au détail des poignées de porte, tous saisissants de générosité.



Installe ton regard au milieu du paysage et construit autour, une fenêtre sur le monde. [1]


Marcher dans les espaces de ce maître finlandais, c’est d’abord ressentir la chaleur de la matière. Le poids d’une façade de briques brunes, l’éclat patiné du cuivre, la douceur du bois cintré, la luminosité de la céramique émaillée. Plus encore, c’est faire corps avec une nature omniprésente, brute ou abstractisée. Les épaisses forêts et les lacs immenses se muent en bibliothèques et en universités, en maisons du peuple et en villas d’été.

Se rapprocher du foyer de la cheminée et laisser ses yeux se perdre sur le tapis de neige dehors qui renvoie le jour à l’intérieur. Concevoir la lumière comme une matière en soi, vivante, qui construit l’espace au même titre que la terre ou le béton. La laisser accaparer le vide, glisser sur la courbe d’une paroi, suivre les veines du bois et exploser sur un carreau de faïence.


J'ai prétendu un jour que le meilleur comité de standardisation est la nature elle-même. [2]


Aalto. « Vague » en finlandais. Ondulation, sinuosité, vallonnement, courbure, cambrure – voilà que l’on s’éloigne de la dictature de l’angle droit. Adieu trames rigoristes, adieu implacables rigidités ! L’architecture rime ici avec volupté. Peut-être insufflée par des vents qui feraient la part belle à ce qui est touché avant même d’être vu. Vivre l’espace avec sa peau autant qu’avec ses yeux. Soigner le point de contact entre le vivant et l’inanimé – plus encore, faire vivre l’immobile. Poignées de porte, mains courantes, interrupteurs, accoudoirs. Imprévisible, l’espace se dessine comme une somme d’individualités assemblées en un tout cohérent. Un système complexe, organique, presque humain. Bien loin des machines à habiter, il prend ici la forme d’une topographie narrative, une orée pour rêver le monde. Un fragment de paysage intériorisé qui opposerait à l’attrait du spectaculaire une précieuse attention pour l’intime.


Une place de justes proportions, dont même les plus pauvres peuvent jouir, est une plus grande réussite architecturale qu’un somptueux édifice réservé au seul usage des princes qui nous gouvernent. [3]


Alvar Aalto parvient à révéler ce que l’architecture a de sublime : elle transcende l’existence physique, inscrite dans la matière, pour parler au plus grand nombre. Par son pouvoir évocateur, elle participe grandement à donner un sens à la société en tant qu’union d’individualités autour d’une histoire, de valeurs ou de symboles partagés.


Alors que dans l’imaginaire collectif est souvent associé à l’architecture moderne la tyrannie du béton et, avec elle, une distante froideur et un snobe dénuement, ce maitre du nord fait rimer la ligne pure avec humanité.

RÉFÉRENCES
[1] RÉMON, Michel
[2] AALTO Alvar, La table blanche et autres textes, éd. Parenthèses, Paris, 2012, p. 153
[3] Ibid, p. 252

ILLUSTRATIONS
[1] Variations autour de la ligne (1) | Institut National des Retraites, Helsinki, Alvar Aalto, 1953-56 © Clara Fuchs
[2] Variations autour de la ligne (2) © Clara Fuchs
[3] Prendre vie | Université Technologique d'Helsinki, Helsinki, Alvar Aalto, 1953-56 © Clara Fuchs
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