top of page

CINQUIÈME FAÇADE

  • Clara Fuchs
  • 1 déc. 2019
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 juin 2024

LE RÊVE DE L'ARCHITECTE - HORS DE LA GRAVITÉ

01 DÉCEMBRE 2019 | CLARA FUCHS



La Fondation Louis Vuitton. Un navire flottant dans un océan végétal que portent douze voiles de verre gonflées par un vent d'ouest.

À la naissance du jour, le verre tendu se teinte d’une pâleur irisée. Une nacre sous la timide lumière de Paris. Plus tard, c’est le ciel qui s’y reflète, donnant à l’édifice des allures de bunker miroitant. Jeté dans la mer verte du bois, il apparaît comme rejoignant le phare du Sacré Cœur. Lent, solitaire, silencieux ; poussé par des courants invisibles vers le bouillonnement de la capitale. Un lointain écho des structures de verre et de métal qui jalonnaient les jardins européens deux siècles auparavant. Une cage transparente malmenée par les courants d’air contre lesquels les parois luttent fébrilement. Déchirées. Démantelées.



Un palais de cristal en pleine explosion. [1]


Cinquième façade. Un édifice qui déconstruit les notions de paroi et de toiture. Une conception qui projette l’architecture dans l’hyper technologie, où le logiciel n’est plus seulement l’outil pour représenter, mais la condition sine qua non de l’existence.

À l’origine, l’esquisse est un gribouillis, un entrelas de lignes noires qui lie d’un unique geste la canopée des arbres et la silhouette de l’édifice. Un seul trait glissant sur le papier blanc à travers lequel apparaît peu à peu un motif répété, comme des vagues successives émergeant des feuillages.

Un besoin maladif de railler les modernistes et autres minimalistes et leurs « espaces carrés, froids, cliniques. » En réponse, un monde tordu, froissé, courbé, tremblant, tourmenté. Une fièvre, un étourdissement, une ivresse. Les façades flanchent, les pans tremblent, les volumes se couvrent d’une épaisse étoffe transparente. Un équilibre délibérément précaire. Une métaphore de l’eau peut-être, en perpétuel mouvement, agitée par la vie tout autour.


Sous la chrysalide de verre, une superposition de volumes blancs projetés dans un vide. Un château fort du 21ème siècle, dont la muraille transparente, épaisse, enserre un animal en voie d’extinction dans les villes : la vacuité. Peut-être l’écrin d’une respiration. Peut-être une garantie pour les citadins de sauvegarder des fragments de ciel. Ou alors la volonté de donner à Paris une chapelle sans religion, dont la maîtresse des lieux, la lumière, mettrait tous les hommes d’accord. Tandis que les galeries et auditoriums se dissimulent derrière le béton blanc, opaque, tordu par des forces imperceptibles, les surfaces incurvées, immaculées, servent de jeu au moindre rayon. C'est là un prisme urbain, un réceptacle à insaisissable.


Au loin, Paris ! Au loin, ses bourdonnements, son agitation ! Au loin, les hurlements des sirènes et les claquements des pas pressés sur le bitume usé.

On ne se sent pas monter, et pourtant, nous voilà déjà soulevés dans les étages, sous la tentaculaire structure de bois et d’acier qui découpe à l’horizon les lignes de la capitale. Une architecture qui emmène le promeneur depuis la terre jaunit par Ólafur Eliasson jusqu’au ciel, attiré par un point de lumière toujours distant. Ici, le regard ne précède pas uniquement les pas : comme indépendant, il circule dans une promenade pensée pour lui, à laquelle le corps n’a pas accès.


Je veux [...] m'élever haut dans le ciel, comme un nuage et flotter à la dérive en me fondant dans cette nuit d'été humide jusqu'à me dissoudre quelque part, loin, par-delà les montagnes. [2]


C’est un nuage flottant dans l’atmosphère tiédit par la forêt, une porte sur un monde silencieux.

Un écart à l’ordre.

Un pied de nez lancé à la rigidité.

Fondation Louis Vuitton

RÉFÉRENCES
[1] GOLDBERGER, Paul
[2] HOSSEINI, Khaled, Les Cerfs-volants de Kaboul, éd. Belfond, Paris, 2003

ILLUSTRATIONS
[1] Envol
[2] Lignes (1)
[3] Paysage intérieur
[4] Lignes (2)
bottom of page