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MATIÈRE-LUMIÈRE

  • Clara Fuchs
  • 15 déc. 2019
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 juin 2024

DANS LES YEUX DE PIERRE SOULAGES

15 DÉCEMBRE 2019 | CLARA FUCHS



Noir. Noir comme la nuit, noir comme les corps - l’absence, en somme, de couleur, de clarté, de contraste.

Noir comme un puit sans fond, noir comme un infini ; noir comme un abîme, noir comme un vertige.

Soit c’est noir, soit c’est autre chose. Intransigeant, radical, extrême même. Pas de demi-mesure, pas de retour possible. C’est l’incertitude, le frisson du lâcher-prise.

Noir, c’est fermer les yeux côté monde et les rouvrir à l’intérieur de soi.

Noir est à la fois le tout et le rien, le monde et le vide. Il est ce qui reste quand tout est absorbé. Noir, c’est la matière, un écran pour saisir la vie abstractisée.

Noir, c’est l’origine des histoires de Pierre Soulages.



Nuit sans lune – Le noir de l’atmosphère est sans limite.


L’origine, oui, et non pas la finalité. Se confronter à un Soulages, c’est aller au-delà du pigment ; le noir n’est bientôt plus qu’un médium qui s’efface lorsqu’on le regarde.

Et c’est là que réside tout le sublime de ces immenses toiles : dans ce qu’il y a de plus sombre nait une lumière, à la fois subtile et éclatante. Deux possibilités contraires liées au sein d’une même matière.

On dit de Soulages qu’il est peintre de la monochromie ; à bien regarder, il est tout autant sculpteur, artisan, poète. Il raconte le temps qui passe à travers une surface, tantôt lisse, tantôt striée, tantôt mate, tantôt brillante. Autant de variations rassemblées dans quelques mètres carrés, qui reflètent l’état d’un jour. Le monde dans un mouchoir de poche.


Le jeu naît de l’empreinte laissée par la main. Le geste qui fissure la toile, et qui rajoute à chaque sillon de nouvelles facettes. D’une même lumière, on perçoit mille éclats. Un plan multiple, un plan profond, dessiné par les stries – ces pièges à clarté. C’est un noir qui n’est plus noir. Un noir lumière, un au-delà du noir, un outrenoir.

Un espace minuscule qui fait coexister deux extrêmes et l’ensemble de ce qui les distingue. Un noir qui révèle la nature de ce qui l’approche. Ocres, bruns, rouges sang, bleus cobalt, autant de teintes affadies par la lumière blanche qui, à l’approche du noir, bondissent dans les yeux de celui qui regarde.


Le noir est une couleur en soi, qui résume et consume toutes les autres. [1]


Devant un Soulages, on ne voit plus seulement un cadre défini et dédié à une expression – on ne voit plus un tableau sur une paroi.

Ce qu’on lit, c’est une lumière qui vient de la matière, du mur autour de la matière, une lumière qui explose sur soi. L’espace de la toile n’est plus la toile, il est là, devant la toile, autour de nous qui percevons la toile. L'œuvre, c’est l’espace.



[On] dit que le blanc réunit toutes les couleurs et qu’elles ne sont arrivées qu’avec la lumière. Avant, le monde était dans le noir. [2]


On parle d’ailleurs des œuvres de Pierre Soulages comme on parle de l’architecture. On raconte ses lignes tirées, ses vibrations tendues par les répétitions. On lit ses rythmes de verticales et d’horizontales. On relate ses nuances. On ressent ses dynamiques qui tendent ce qu’il y a autour. On retient l’éclat, aveuglant ou ténu, qui glisse, qui s’accroche, qui s’éteint. On pense matière et lumière.


Matière-lumière – un rapport qui définit l’architecture.


Exposition « Soulages au Louvre. »

Musée du Louvre, Paris | 11 décembre 2019 - 9 mars 2020

RÉFÉRENCES
[1] MATISSE, Henri, Écrits et propos sur l’art, éd. Hermann, Paris, 1972
[2] Issu de : CHEVREUL, Eugène, De la loi du contraste simultané des couleurs et de l'assortiment des objets colorés, Paris, 1889

ILLUSTRATIONS
[1] Peinture 181 x 244 cm, 2009 © Pierre Soulages
[2] Peinture 324 x 362 cm, 1986 © Pierre Soulages [3] Peinture 130 x 390 cm, 2012 © Pierre Soulages
[4] Peinture 293 x 324 cm, 1994 © Pierre Soulages
[5] Peinture 74 x 165 cm, 2013 © Pierre Soulages
[6] Peinture 324 x 362 cm © Pierre Soulages
[7] Peinture 57 × 81 cm, 2014 © Pierre Soulages
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