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ESPACE CUBIQUE

  • Clara Fuchs
  • 15 avr. 2020
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 juin 2024

BALLADE DANS LA VILLA LA ROCHE

15 AVRIL 2020 | CLARA FUCHS



« Cette […] maison sera donc un peu comme une promenade architecturale. On entre : le spectacle architectural s’offre de suite au regard ; on suit un itinéraire et les perspectives se développent avec une grande variété ; on joue avec l’afflux de la lumière éclairant les murs ou créant des pénombres. Les baies ouvrent des perspectives sur l’extérieur où l’on retrouve l’unité architecturale. » [1]


55, rue du Docteur Blanche. Un modeste portail en fer forgé entrouvert, découvrant une petite impasse discrète largement arborée. Un de ces lieux un peu hors du temps, révélant un second visage de Paris, intime, silencieux, intérieur. Au bout déjà, on distingue une masse blanche éclatante au milieu des arbres – l’appel. Et c’est ainsi que commence l’entrée dans la Villa Laroche : à l’ombre d’épais feuillages, avec comme seul horizon le sol qui file sous un volume immaculé et soulevé.



Déjà, le parti est saisissant de clarté : deux volumes distincts, géométriques, implantés perpendiculairement – le premier longe la ruelle pavée, le second, courbe, interrompt l’avancée. Et entre eux, le vide qui se glisse – une articulation par l’absence, un retournement du jardin couvert, qui introduit l’ambiguïté de l’entrée dans la villa.


Parce que c’est autour de l’entrée que se joue toute la poésie de cette maison. C’est dans ce vide étiré vers le haut, que se lisent les deux villas qui cohabitent sous un même toit. Elles se font face et se jaugent, chacune constituant l’observatoire de l’autre – l’intimité sur la vie sociale, l’esprit sur le corps ; chacune habitée et abandonnée au fil des heures de la journée.

Cette entrée, c’est un extérieur clos et couvert, dans lequel la courbe douce de la façade extérieure nous amène ; c’est un vide contenu par deux parois découpées qui met en tension les dualités de l’habitat : jour-nuit, partagé-intime, ouvert-fermé, servant-servi, noble-domestique. Cette entrée, c’est une centralité qui baigne dans une lumière omniprésente, encore insaisissable depuis le rez-de-chaussée.


Le corps entre dans la maison, compressé par une sous-face qui s’ouvre sur ce vide ascensionnel. Devant, une opacité triple hauteur, frontale, qui glisse vers une échappatoire en diagonale. De part et d’autre, les deux plans frontaux, véritables façades intérieures, dont sort un balcon ; le voilà, l’élément perturbateur, celui qui accroche le regard pour presser le pas – le déclencheur de la promenade.

L’escalier emmène rapidement au premier étage, dont le balcon constitue en fait le palier. À nouveau, c’est le vide de l’entrée qui s’étale sous nos yeux, apprécié depuis un autre point de vue. Une double hauteur au-dessus de la tête, c’est le point que l‘on vient de quitter que l’on observe ainsi perché.


Quelques pas plus loin, et l’on rentre dans la galerie. L’espace est en longueur, souligné par les bandeaux vitrés qui ouvrent le tiers supérieur des parois périphériques – celui de gauche est illuminé par la lumière du sud ; à droite, le vert éclatant des feuillages découpe le ciel. Et toujours, en diagonale, une paroi qui glisse vers un ailleurs : ici, un autre balcon, sur le dehors cette fois.

À l’extrémité de la pièce, l’embouchure d’une rampe tout en courbe, la progression lente vers un espace encore invisible. Véritable séquence cinématique, elle constitue une prise de hauteur, à la fois littérale et métaphorique. Car en véritable musée privé, la galerie encerclée d’opacités à hauteur d’œil était pensée recevoir une quantité de tableaux dont l’appréhension était complétée par les points de vue qu’offre un sol qui se soulève.


Enfin, la bibliothèque, point culminant de la maison. Le plafond bas compresse le corps, qui se penche par-dessus le rayonnage de livres. En contrebas, le vide de l’entrée, sa lumière du nord qui s’engouffre par l’immense baie, la passerelle comme trait d’union entre la villa de service et la villa noble – en fait, l’endroit par lequel tout a commencé. Et voilà que la villa se renverse. La compression du début devient celle de la fin, et la grande dimension de l’entrée se dessine en une diagonale partant du coin bas gauche de la porte au point haut droit de la bibliothèque.


En fait, la narration de la maison tout entière se concentre autour de l’articulation de deux vides – entrée et galerie – perçus depuis leur périphérie. Ils apparaissent au travers d’un mouvement circulaire qui les cernent, et dans lequel se distinguent des pauses. Balcons, interruptions d’opacité sont autant de dispositifs qui proposent une nouvelle lecture de l’espace par le déplacement du regard. À ce titre, toutes les vues qu’offre la géométrie de la villa peuvent être considérées comme une série de séquences mises bout à bout et reliées entre elles par un même mouvement.

C’est là tout le génie de cette villa : malgré la simplicité apparente de sa géométrie, l’espace ne se comprend que par la multiplication des points de vue. Espace complexe, espace abstrait, espace qui ne peut être englobé que par la capacité de l’observateur à juxtaposer et synthétiser des séquences spatiales et temporelles.

Villa La Roche

16ème arrondissement, Paris, France, 1923

RÉFÉRENCES
[1] LE CORBUSIER, Le Corbusier & Pierre Jeanneret–Œuvre Complète, 1910 – 1929, Volume 1, éd. Girsberger, 1967, p. 60

ILLUSTRATIONS
[1] Vide 01 - Entrée, paroi frontale et façade intérieure | Isométrie © Clara Fuchs
[2] Balcons intérieurs - Entrée © Clara Fuchs
[3] Vide 02 - Galerie, paroi filante et sol soulevé | Isométrie © Clara Fuchs
[4] Mouvements - Galerie © Clara Fuchs
[5] Belvédère - Bibliothèque, articulation des deux vides | Isométrie © Clara Fuchs
[6] Vertige - Bibliothèque © Clara Fuchs
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