LE SUD MODERNE [3]
- Clara Fuchs
- 15 août 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juin 2024
L’UTOPIE DE L’HARMONIE - LE SUD DES MAEGHT
01 SEPTEMBRE 2021 | CLARA FUCHS
« La nature, la nature physique est mesurable. Le sentiment et le rêve n'ont pas de mesure, pas de langage, et le rêve de chacun est singulier. […] L'homme est toujours plus grand que ses œuvres parce qu'il n'arrive jamais à exprimer pleinement ses aspirations. Car s'exprimer en musique ou en architecture se fait par les moyens mesurables de la composition ou du projet. La première ligne sur le papier est déjà une mesure de ce qu'on ne peut exprimer pleinement. La première ligne sur le papier, c'est moins. » [1]
C’est bien dans le sentiment qu’est née la fondation Maeght. Dans la douleur de leur deuil, dont il devient vital de se dégager, s’éveille un songe : celui d’un idéal esthétique, d’une oasis de silence et de lumière où se bousculent les rêves.
Les folies du couple font éclore un langage d’apparence simple aux accents profondément méditerranéens. Là, entre les silhouettes émaciées des pins parasols, les lignes tirées des pavillons dessinent un village typique : derrière les murs de pierres sèches, la minuscule chapelle en guise de centralité, le jardin d’entrée bordé par son café, la cour Giacometti comme agora, la bibliothèque, la maison-atelier, la « mairie » et le « cloitre » pour bâtiments d’exposition…
Comme dessiné par un unique geste, il se dégage de l’ensemble une grande cohérence, sans toutefois que rien ne se répète ni ne se concurrence. Pas de place pour la monotonie, chaque élément a son écriture, portée par la subtilité de ses détails – les ouvertures se jouent des standards, les niveaux et les vues se multiplient, les espaces se contorsionnent et estompent leurs limites. Ici un patio, là-bas un salon, tout près la montagne, au loin la salle que je viens de quitter – le regard tourne et se retourne, rendant abstrait le matériel et tangible l’inexprimable. Chacun son usage, chacun son échelle – dans le ciel, les courbes sculptées des toitures bâtissent des ponts vers les nuages.
Enracinée dans des formes pures et dans des lignes fluides, la main de l'homme s'est restreinte à une palette quasi unique, alternant béton blanc, pierre et terre cuite. La lumière franche du Midi, instillée par les toitures percées et les dentelles qui couvrent les larges baies, apparaît comme la véritable matière première des lieux. Ruisselante le long les murs blancs, elle inonde l’espace, quel que soit l’état du ciel. Balayant les pavillons d’Est en Ouest, ses nuances inondent les alternances de patios et de salons sans interruption et renverse les notions d’extérieur et d’intérieur.
De ce contraste, faisant pénétrer le soleil, le vent et l’eau au cœur de l’architecture, naissent ces spatialités éclatantes aux lignes pures et aux ambiances parfaitement maitrisées.
Les multiples bassins modèrent la chaleur suffocante en une brise tempérée qui accompagne les pas des nombreux visiteurs, les résilles de béton filtrent le jour aveuglant, les demi voutes aux vitrages diaphanes distillent dans les salles d’exposition une clarté céleste, dont le rayonnement semble émaner des murs eux-mêmes – une lumière naturelle permanente mais dépouillée de la chaleur de ses rayonnements directs, un air circulant et rafraichi par l’eau des impluviums qui se déverse de bassins en bassins, des toitures et la pinède en maitres de l’ombre : les premiers jalons d’une architecture écologique.
Si le rêve n’a pas de langage, la fondation Maeght prouve tout de même sa grande créativité. Sur les flancs du Baou des Blancs, elle propose un Eden sans âge, faisant sien les variations du temps sans donner de prise à ses marqueurs. Le paysage est sien, le vent est sien, l’art est sien, le monde est sien – tous déshabillés d’un destin mercantile ou d’une valeur autre que l’émotion qu’ils procurent.
« Construire c'est assembler des éléments homogènes, bâtir c'est lier des éléments hétérogènes » [2]
Voilà peut-être le rêve initial des Maeght : une utopie de l’harmonie, où chaque unicité se cultive aussi bien en elle-même que dans la cohérence de l’ensemble à laquelle elle appartient. Ici, l’architecture dessine un trait d’union entre les hétérogénéités en présence : le proche et le lointain, le dehors et le dedans, le soi et le non-soi – en somme, le monde et l’homme.
Fondation Marguerite et Aimé Maeght
Josep Lluís Sert, Saint-Paul-de-Vence, 1964