top of page

ARCHITECTURE METABOLIQUE

  • Clara Fuchs
  • 1 juil. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 juin 2024

UNE ODE A LA VIE

01 JUILLET 2022 | CLARA FUCHS



1966. Le Japon se relève de l’abîme qu’a laissé la Seconde Guerre Mondiale. L’urgence à vivre pousse à reconstruire, vite, beaucoup. En 15 ans, les déserts de ruines ont déjà disparu derrière des gerbes de grues et de gratte-ciels. Mais que fait-on à partir de « plus rien » ? Qu'invente-t-on ? Comment, et avec quoi ? Que garder de son histoire meurtrie, qu’abandonner au passé ?



Et surtout, pour combien de temps ? Car l’urbain japonais a péri, labouré, pulvérisé dans un ciel noir de bombes. Les quartiers anciens, denses et dans leur grande majorité en bois, furent réduits en un tas de cendres fumantes. Au final, 68 villes transformées en jachères chaotiques, n’existant plus que dans les souvenirs embrumés par les pertes. Un douloureux écho aux catastrophes naturelles subies par l’archipel, qui réduisirent de nombreuses fois à néant les velléités des Hommes – à ceci près que l’homme lui-même fut sa catastrophe cette fois-là.

Pourtant, dans la violence de la destruction, dans la morsure atomique, solidement enracinés dans ces sols devenus hostiles, les ginkgos se sont éveillés, les bourgeons ont éclaté et ont fait verdir l’air gris de leurs fébriles éventails. L’appel de la vie.


Si la destruction est inévitable, pensons éphémère. Pensons une architecture vivante, hyper sensible, évolutive. Pensons une ville mutable, mobile, métabolique.

Si notre société est vouée à évoluer, inventons une architecture capable d’absorber ses variations – une architecture avec une durée de vie limitée, conçue et construite pour être remplacée.

新陳代謝 [shinchintaisha] ou le renouveau face à l’impermanence.


Comme le ginkgo a son bois sur lequel se ramifient ses feuilles, comme l’Homme a sa colonne qui soutient et articule tous ses membres, concevons une architecture reposant sur une structure souche supportant ses cellules amovibles et remplaçables. Une architecture erratique, fluctuante, reprenant à l’incroyable machine du corps humain ses principes de renouvellement cellulaire et d’échanges entre cellules et environnement extérieur, pour proposer des modes de vie en phase avec un monde inconstant.

新陳代謝 [shinchintaisha] ou la loi de la croissance du vivant.


« Nous considérons la société humaine comme un processus vital – un développement continu de l’atome à la nébuleuse. » [1]


Enfin, imaginons un symbole capable de rassembler traditions esthétiques et reconstruction pacifiste, unifiant les échelles de l’individu, du groupe et du non-humain. Un lieu incarnant l’Homme, à la fois conscient de son histoire et capable de se renouveler dans un monde en évolution.

C’est dans ce contexte de renouveau que le très jeune Sachio Ōtani dessine le Kyoto International Conference Center. Niché au pied du Mont Hiei, devant le lac Takaragaike, il projette une trame triangulaire, subdivision de l’hexagone bien aimé par la nature qui en multiplie les exemples. Comme l’alvéole dans la ruche, comme les fentes de retrait de l'argile, le béton brut se modèle suivant cette géométrie systématique et rigoureuse. Les montagnes avoisinantes et les temples à pagodes appuyés sur leur flanc résonnent dans les angulations des mégastructures, qui se plaisent à tracer dans l’air des gestes dansants.

Un lointain écho aux kanji [hito], l’Homme, et 入 [hairu], ouvrir, qui offre à l’édifice une lecture toute symbolique ; sur les valeurs esthétiques de la tradition japonaise, se greffe la projection d’une société nouvelle, humaniste et pacifique. Une rupture dans la continuité.


Comme la trame hexagonale permet à l'abeille de façonner le maximum d'alvéoles en usant d’un minimum de cire, l’ossature de l’édifice dégage un espace immense, assurant une stabilité aux portées gigantesques. À l’intérieur, les foyers et les auditoriums se succèdent ; la lumière ruissèle le long des parois biaises, ajoutant à l’architecture une allure futuriste.

Toutes les échelles se retrouvent là, la montagne, l’édifice, jusqu’au mobilier, déclinés en hexagones imbriquables ; Sachio Ōtani propose un monde en fractale, chaque structure contenant la suivante et reproduisant invariablement l’essence de la précédente, rendant la notion même d’échelle obsolète.


« Bientôt l'homme posera une échelle contre la Voie Lactée » Yoshida Tōshirō [2]


Dans ce mouvement résolument optimiste, la perception de la ville est au cœur des réflexions. Elle est désormais perçue comme une entité complexe évoluant à deux vitesses, suivant simultanément des cycles de vie courts, à l’échelle de l’humain, et longs, à l’échelle de l’architecture. La ville devient un organisme vivant, admettant par sa nature même des phases de croissance et de décroissance.

En filigrane, se dessine une perception du temps radicalement différente de celle des modernes occidentaux. Au temps linéaire, construit sur une succession d’évènements, les métabolistes japonais opposent un temps cyclique, éternel recommencement – naissance, vie, mort, renaissance. Un concept philosophique pouvant être compris de deux manières : soit comme une hypothèse métaphysique selon laquelle tout se répéterait éternellement suivant un cycle de vie, soit comme un précepte éthique qui prônerait la nécessité de mener une existence telle que l’on puisse souhaiter qu’elle se répète indéfiniment.


« Dans l'œil de l'oiseau migrateurje devienstoujours plus petit » Ueda Gosengoku [3]

国立京都国際会館 Kyoto International Conference Center

Sachio Ōtani, Kyoto, Japon, 1966

RÉFÉRENCES
[1] Noboru Kawazoe, Metabolism 1960 : Proposals for New Urbanism [Métabolisme 1960 : des propositions pour la ville], éd. Bijutsu shuppansha, 1960
[2] ATLAN, Corinne, Haiku du XXe siècle : Le poème court japonais d'aujourd'hui, éd. Gallimard, 2007
[3] ibid.

ILLUSTRATIONS
[1] KICC© Clara Fuchs
[2] KICC © Clara Fuchs
[3] KICC © Guillermo Cano
[4] KICC © Clara Fuchs
[5] KICC © Guillermo Cano
bottom of page